Le cas du bonnet en modélisme de mode - article 1

Bonjour à toutes et à tous,

Cet article inaugure une série d'article dans le cadre de "L'atelier des modélistes" (@latelier_des_modelistes sur Instagram) qui aura probablement un jour un site internet dédié mais dans un premier temps, j'utilise le blog de RTS !

Après un moment d'absence (très studieux), je reviens pour aborder un sujet crucial : le calcul du bonnet. Vous avez peut-être déjà tracé votre patron de base en suivant un manuel de patronnage ou un tutoriel Youtube, mais la déception survient lors de la réalisation de la toile. Vous découvrez que le buste baille énormément à l'emmanchure devant et forme une grosse "aile" de tissu que vous avez envie de pincer pour que ce soit plus seyant. La toile ne vous serre pas au niveau de la poitrine, mais rien ne se place correctement et la toile est trop large au dessus de votre poitrine.

Alors, pourquoi cela ne tombe-t-il pas correctement, même en suivant scrupuleusement la méthode et en ayant confiance dans vos mesures ? Je vous en parle plus en détail ci-dessous.

À travers mon expérience de modéliste, j'ai compris que le bonnet joue un rôle essentiel dans le tracé du patron de base, influençant la façon dont le vêtement tombe à l'emmanchure et évitant ces ailes de tissu gênantes. Mais qu'est-ce que le "bonnet", comment le calcule-t-on en modélisme de mode et pourquoi la grande majorité des manuels de patronnage n'en font pas mention ?

Bienvenue dans l'univers passionnant de la création vestimentaire, où chaque corps est unique et mérite d'être célébré dans toute sa diversité. Dans cet article et les suivants, nous nous aventurerons hors des sentiers battus de la mode conventionnelle pour explorer la richesse des morphologies qui composent notre monde.

Le corps standard, utilisé comme référence dans les écoles de mode et par de nombreuses marques de prêt à porter, est une représentation simplifiée et idéalisée du corps féminin. Construit en même temps sur des analyses de mesures d'après des campagnes de mensurations faites par des instituts comme l'IFTH (France) ou ASTM (USA) par exemple et un idéal de proportions pour faciliter ensuite l'établissement de règles de gradation. Il est caractérisé par des proportions spécifiques : un écart d'environ 25 cm entre le tour de buste et le tour de taille, donc une taille assez marquée, une pente d'épaule définie d'environ 18° pour le dos et 26° pour le devant ou qui tourne autour de 20°, une stature généralement de 168 cm, une hauteur taille - bassin d'environ 20 cm, un ventre plat ou peu prononcé, des fesses hautes et bien sûr, un bonnet B. 

Pour l’industrie de la mode, il est indispensable de normaliser et de définir un standard pour développer ensuite une ligne de vêtement. Certaines marques de prêt à porter vont s’orienter sur des corps plus pulpeux, plus athlétiques et d’autres vont proposer des statures différentes mais dans la grande majorité les marques vont s’appuyer sur le standard décrit plus haut et les règles de gradation découleront de ce standard.

Cependant, nous comprenons que la réalité est bien plus nuancée. Les morphologies sont diverses, les bonnets varient, les épaules s'inclinent de différentes manières, et les tailles ne se limitent pas à un écart standard. Cet article est spécialement conçu pour celles et ceux dont les corps dérogent à ces normes établies.

Que vous vous retrouviez dans une description qui diffère de ce standard, ou même si vous vous y reconnaissez mais arborant un bonnet D ou plus, cet article et les suivants vont vous intéresser. 

Personnellement, je corresponds assez bien aux standards, et la majorité des méthodes de patronnage que j'ai testées donnent sur moi une toile assez satisfaisante avec seulement des ajustements mineurs. Cependant, comme je le mentionnais précédemment, ces méthodes correspondent à un corps normé par l'industrie de la mode avec un bonnet B. Cette information est implicite et n'est, dans 90 % des cas, pas mentionnée dans les manuels. 

La majorité des méthodes fonctionnent en semi-surmesure, c'est-à-dire que certaines mesures sont indiquées comme des mesures générales, et d'autres sont prises sur la personne pour qui le patron doit être tracé. Les méthodes de patronnage françaises ou européenes correspondent en majorité à ce que je qualifie de semi-surmesure et les méthodes américianes se rapprochent plus du sur-mesure.

Le fonctionnement des méthodes de patronnage appliquées à l’industrie de la mode est le suivant: les mesures de circonférences comme le tour de buste, le tour de taille et le tour de bassin sont divisées en deux pour déterminer la largeur du cadre dos et celui du devant, puis on applique un décalage de la couture côté pour palier au volume crée par la poitrine. Cette méthode fonctionne très bien dans le cas d’un petit bonnet ET d’une morphologie mince. Dans le cas de morphologies grosses, avec du ventre et/ou avec un bonnet plus important, cette méthode ne fonctionne pas bien et demande de nombreux ajustements qui sont perturbants pour des novices et surtout difficiles à évaluer sans accompangment.

J'imagine que cela commence à vous sembler évident. Regardez-vous dans le miroir, mettez-vous de côté, est-ce que diviser votre tour de poitrine par deux pour tracer votre buste de base vous paraît cohérent ? N'avez-vous pas bien plus de volume sur l'avant de votre buste ? Si vous avez du ventre, n'avez-vous pas bien plus de volume sur l'avant de votre corps aussi ? Un simple décalage de la ligne de côté sera-t-il suffisant pour rester fidèle à vos formes ?

Mais qu'est-ce que le bonnet et comment le calcule-t-on en modélisme de mode ?

Dans un premier temps, il est important de comprendre la différence entre le bonnet en lingerie et le bonnet en modélisme de mode. Si la plupart des couturières connaissent leur bonnet en lingerie, elles ne connaissent en revanche pas leur taille de bonnet en modélisme de mode.

La lingerie prend en référence le tour de buste et le tour de dessous de buste pour calculer le bonnet, ce qui est logique car votre soutien-gorge va reposer sur un bandeau qui est sous votre poitrine. Le modélisme de mode calcule le bonnet en faisant la différence entre le tour de dessus de poitrine et le tour de poitrine. La différence entre ces deux mesures détermine le bonnet.

Il y a de fortes chances pour que votre bonnet en modélisme de mode et en lingerie soit très différent. Pour connaître votre bonnet en modélisme de mode, voici comment faire :

Avec l'aide d'une personne de votre entourage, prenez deux mesures en vous basant sur le schéma ci-dessous. 

Le tour de dessus de poitrine : prenez la mesure en passant juste en dessous des aisselles et sur le haut de la poitrine. Si vous avez peu de poitrine, le mètre ruban va être presque parallèle au sol. En revanche, si vous avez beaucoup de poitrine, le mètre ruban va remonter sur le devant. Dans le cas d'une poitrine volumineuse, il est préfèrable de prendre cette mesure sans porter de soutien-gorge.

Le tour de poitrine : prenez la mesure aux saillants, en passant par la pointe des seins et en restant parallèle au sol.

Calculez la différence entre votre tour de poitrine et votre tour de dessus de poitrine et reportez-vous au tableau ci-dessous:

• 2,5 cm = bonnet A
• 5 cm = bonnet B
• 7,5 cm = bonnet C
• 10 cm = bonnet D
• 12,5 cm = bonnet E
• 15 cm = bonnet F

Ne vous inquiétez pas si cela est très différent de votre bonnet en lingerie du commerce.

Si vous suivez attentivement cet article, vous vous demandez sûrement : "Mais pourquoi cette mesure si importante du tour de dessus de poitrine n'est-elle jamais mentionnée dans les manuels de patronnage ?" Elle n'est pas évoquée car elle est implicitement calculée dans la méthode sur la base d'un bonnet B. Même dans les manuels de tracé sur mesure, cette mesure n'est pas abordée, pourtant, elle est cruciale pour certaines morphologies !

Vous vous demandez probablement ce que cela va concrètement changer sur le tracé de votre buste de base en intégrant la notion du bonnet. Eh bien, cela aura, entre autres, un effet sur la force (largeur) de la pince poitrine. Certaines méthodes de patronnage dites "sur-mesure" traitent de cette force de pince en fonction du bonnet tout en restant relativement vague, vous proposant d'appliquer le calcul classique de division du tour de poitrine, puis si votre bonnet est supérieur à B, d'ajouter 1 cm pour un bonnet C, 2 cm pour un bonnet D etc... à la valeur trouvée.
D'autres méthodes ne prennent pas en compte le bonnet, proposent de tracer comme si vous aviez un bonnet B et recommandent un ajustement pour une forte poitrine avant de tester la toile. Certaines méthodes traitent cela dans la section "ajustements de la toile" et proposent d'ajuster directement sur la toile en pinçant l'excédent de tissu qui se forme au niveau de l'emmanchure, de reporter cela sur le patron papier, puis de transférer cela dans la pince côté et de refaire une toile. Enfin, d'autres manuels suggèrent de découdre légèrement la toile et de manipuler directement la pince poitrine sur la personne... Comme dirait mon mari, il n'y a que des mauvaises méthodes, il faut juste choisir la sienne ;-).

Toutes ces techniques fonctionnent et se valent dans le cas d'une poitrine légèrement plus volumineuse, mais dans le cas d'une très forte poitrine, elles trouvent clairement leurs limites.

Dans certaines situations, j'ai même rencontré des difficultés à aller jusqu'au bout du tracé. Par exemple, avec les mensurations de mon mannequin de couture, qui a également un bonnet D et correspond à une taille 50 de ma gamme 2, je n'ai pas pu achever le tracé avec la méthode DP Studio. Les mesures ne s'accordaient tout simplement pas avec cette méthode, rendant impossible la finalisation du tracé. Cette situation était largement attribuable à la longueur du buste avant, due au volume de la poitrine, et à la façon dont le tracé de l'épaule dos découle du devant. J'étais tout simplement bloquée à une étape et ne pouvais pas aller plus loin. D'autres méthodes m'ont permis de mener le tracé à son terme, mais la valeur de la pince était tellement ridicule et la largeur dos absurde que je n'avais même pas besoin de faire une toile pour constater que le tombé de la toile serait problématique.

Attention, ne vous méprenez pas. Je ne critique pas ici les méthodes de patronnage utilisées àpar l'industrie de la mode qui ont fait leurs preuves et qui conviennent parfaitement aux corps dits standards. Pour répéter, dans le contexte d'une marque de prêt-à-porter ou de prêt à coudre (PAP ou PAC), il est essentiel d'établir un standard afin de définir ensuite des règles de gradations. Cependant, je regrette l'absence d'information dans la plupart des méthodes quant au fait que les calculs sont basés sur un bonnet B. De plus, certaines méthodes dites sur-mesure abordent ce sujet de manière peu détaillée, laissant les novices dans le flou et les laissant potentiellement croire qu'ils n'ont pas suivi la méthode correctement ou que leur corps n'en vaut pas la peine. Si vous envisagez de patronner vous-même votre buste de base selon vos mesures, surtout avec une poitrine généreuse, il est crucial de comprendre cette problématique pour éviter toute confusion lors des essayages.

Je m'arrête ici pour le moment et je vous donne rendez-vous dans quelques semaines pour le prochain article où nous rentrerons dans le vif du sujet. Si cela vous intéresse, restez connecté.e.s !